IRM en Allemagne : l'autorisation préalable est-elle encore justifiée ?

Traverser le Rhin pour passer une IRM en Allemagne, les Alsaciens sont nombreux à être tentés.
Si le délai d'attente pour obtenir un rendez-vous est bien plus court qu'en France, l'accès à l'IRM n'en est pas moins compliqué. Et ce, malgré la garantie européenne de libre circulation des patients dans l'UE.
La cause : l'autorisation préalable par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM).
Mais cette contrainte administrative est-elle encore justifiée ? 
Le CEC explique pourquoi et comment s'en passer.

La crise sanitaire du Covid-19 vient remettre en lumière une problématique récurrente dans la région frontalière franco-allemande, à savoir les problèmes rencontrés par les patients de la région Grand Est concernant l’accès aux examens d’IRM (imagerie par résonance magnétique) sur le territoire allemand.

La presse régionale s’en est faite l’écho et évoque un afflux important de demandes de RDV pour des examens IRM sur le territoire de la Collectivité européenne d’Alsace, sur fond de reprise de l’activité médicale post-confinement. Les délais d'attente pour passer un examen d'IRM dépassent largement « les délais raisonnables » et retardent les soins en exposant le patient à « des pertes de chance ».
Il faut attendre plus de 2 mois actuellement en Alsace pour les diagnostics courants ; même les examens urgents sont impactés.

Mais en dépit de la directive 2011/24/UE sur les soins de santé en Europe entrée en vigueur en 2013, l’accès à l’IRM en zone frontalière, presque 10 années plus tard, demeure toujours aussi compliqué pour le patient en raison du maintien de l’autorisation préalable à cet examen par la France.

La présente note propose plusieurs solutions concrètes, qui permettraient de faciliter l’accès aux équipements de radiologie dans le bassin de vie franco-allemand et ainsi désengorger les listes d’attente côté français. Dans l’intérêt de tous : patients, praticiens, cliniques et caisses maladie.

1. Le contexte en France : des délais d'attente importants

Plusieurs études récentes, dont celle du Syndicat national de l’industrie des technologies médicales (SNITEM) publiée en octobre 2018, montre que la France est sous-équipée en appareils d’IRM, ce qui fragilise l’accès aux soins de ses patients.

Avec seulement 15,4 appareils par million d’habitants en 2019, d'après l'OCDE, la France fait figure de mauvais élève, alors que certains Etats européens comme l’Allemagne, l’Italie ou la Grèce affichent environ 30 appareils IRM par million d’habitants (34,7 précisément s’agissant de l’Allemagne).

Ce retard ne porte pas seulement sur le nombre d’appareils, mais également sur leur modernité puisque dans ce secteur, les technologies évoluent très vite.

Conséquence : des délais d’attente excessifs, en moyenne plus de 30 jours, ce qui entraine des pertes de chance pour les patients.

Pour les patients, cette situation est très problématique. En effet, s’il y a quelques années encore, l’IRM était relativement peu fréquente, il tend à devenir un examen de routine.

Pour certains secteurs médicaux, le recours à l’IRM est même incontournable comme en cancérologie, où l’IRM ne sert plus seulement au diagnostic, mais participe à la décision thérapeutique.

Il y a un risque pour la santé publique, mais aussi une augmentation du coût de la prise en charge des administrés français. Un patient mal diagnostiqué ou soigné est un patient potentiellement plus cher.

Le cas du Grand Est, région frontalière à l'Allemagne

A la lecture des dernières études disponibles un constat similaire s’impose : avec 16,6 appareils pour 100.000 habitants et un délai d’attente moyen de 28 jours pour obtenir un rendez-vous d’IRM en 2018, les délais d’attente dans le Grand Est restent bien au-dessus des objectifs fixés dans les plans cancer successifs.
Même si de ce point de vue, la région frontalière est légèrement mieux positionnée que la moyenne nationale.

Or les délais pour obtenir un tel examen de l’autre côté du Rhin en Allemagne ne sont que de deux ou trois jours.
Dans ces conditions, un patient français a tout intérêt à comparer l’offre de soin disponible dans les deux pays, d’autant qu’en zone frontalière, beaucoup de cabinets libéraux allemands équipés d’IRM ont du personnel francophone, appliquent les tarifs conventionnés français et rédigent les compte rendus en langue française.

En matière d’IRM, l’ARS Grand Est trouverait donc un intérêt évident à coopérer avec la partie allemande pour améliorer la qualité de prise en charge de ses patients, eu égard à l’insuffisance d’équipement. Cela permettrait d’améliorer l’accès aux soins et de réaliser des économies d’échelle.

2. La procédure d’autorisation préalable : Un obstacle injustifié pour le patient français en région frontalière

Une libre circulation des patients ... sur autorisation !

Le principe de libre circulation des patients permet de se faire soigner à l’étranger en ambulatoire sans autorisation préalable de la caisse d’affiliation. Ce principe a été consolidé avec la directive 2011/24/UE relative à l’application des droits des patients en matière de soins transfrontaliers, dont les règles coexistent avec celles des règlements européens 883/2004/CE et 987/2009/CE.
Par exception à ce principe, les Etats membres peuvent choisir de soumettre certains soins à une procédure d’autorisation préalable, notamment pour des raisons de planification et de maîtrise des coûts. Il s’agit de soins nécessitant au moins une nuitée à l’hôpital ou de soins de santé spécialisés. Le refus d’une telle autorisation est encadrée (article 8 de la directive).

La France fait usage de cette possibilité en soumettant à autorisation préalable une liste de soins nécessitant le recours à des équipements lourds (examens réalisés en dehors d’une structure hospitalière), dont la liste est fixée par l’article R.6122-26 du Code de la santé publique :

  • Caméra à scintillation munie ou non de détecteur d'émission de positons en coïncidence, tomographe à émissions, caméra à positons ;
  • Appareil d'imagerie ou de spectrométrie par résonance magnétique nucléaire à utilisation clinique ;
  • Scanographe à utilisation médicale ;
  • Caisson hyperbare ;
  • Cyclotron à utilisation médicale.

L’absence d’une demande d’autorisation (entente préalable auprès de la caisse maladie) entraîne la non prise en charge du coût de l’examen pour le patient.
Le remboursement de soins même ambulatoires comme un examen d’imagerie médicale est donc conditionné par une procédure administrative, présumée connue des patients.
Or, dans l’urgence médicale, cette condition est entièrement méconnue du public dont la priorité est d’obtenir rapidement l’examen.
Elle représente ainsi un obstacle à l’accès aux soins dans un autre Etat membre, comme le montre la pratique.

IRM, scanners : le régime actuel de l’autorisation préalable n’est ni nécessaire, ni proportionné

Selon l’article 8 paragraphe 1 de la directive 2011/24/UE, le régime d’autorisation préalable « se limite à ce qui est nécessaire et proportionné à l’objectif poursuivi et ne peut constituer un moyen de discrimination arbitraire ni une entrave à la libre circulation des patients ». Or, les constats suivants montrent que les raisons invoquées, il y a plus d’une dizaine d’année pour limiter l’accès aux examens d’imagerie médicale, scanners et IRM ne sont plus valables.

Absence de risque de sous-utilisation des appareils IRM français

Dans son arrêt du 5 octobre 2010 (affaire C-512/08), la CJUE avait validé le régime de l’autorisation préalable français pour les soins listés à l’article R6122-26 du Code de santé publique, expliquant que ces soins devaient pouvoir faire l’objet d’une planification « en ce qui concerne notamment leur nombre et leur répartition géographique, et ce afin de contribuer à garantir sur l’ensemble du territoire national une offre de soin de pointe qui soit rationalisée, stable, équilibrée et accessible, mais aussi afin d’éviter dans la mesure du possible tout gaspillage de moyens financiers, techniques et humains».

L’argument était donc de contrôler les flux de patients vers l’étranger pour ces soins, afin d’éviter une désorganisation du système sanitaire et une situation de sous-utilisation des équipements matériels lourds implantés en France.
Mais en matière d’IRM, l’effort de planification des autorités nationales ne serait pas compromis. Les chiffres à court et à moyen terme nous montrent que la France ne peut pas assurer en l’état une planification efficace de l’accès à l’IRM sur le territoire.
Le retard français est tel qu’il n’y a aucun risque de sous-utilisation des IRM français même en facilitant l’accès à des appareils implantés dans les pays voisins.

L’absence d’atteinte à l’équilibre financier du système de sécurité sociale français

L’un des arguments récurrents pour justifier le régime d’autorisation préalable pour les soins listés à l’article R 6122-26 du Code de santé publique, est qu’il s’agirait en l’espèce de soins particulièrement lourds et onéreux et qu’une absence de contrôle des flux de patients en amont mettrait en péril le budget de la sécurité sociale.
Or, Le critère déterminant est le coût du soin, et pas le coût de l’appareil.

Supprimer l’autorisation préalable et mutualiser les appareils d’IRM dans la zone frontalière ne porteraient pas atteinte à l’équilibre financier de la sécurité sociale mais permettraient au contraire de réaliser des économies d’échelle.

En cas de soins ambulatoires programmés, la sécurité sociale doit par contre prendre à ses frais le coût du soin/de l’examen à l’étranger, en remboursant le patient aux mêmes tarifs que si l’examen avait été passé en France, en application de l’article R160-2 du code de la Sécurité sociale.
Or, les IRM faits dans d’autres Etats membres de l’Union européenne sont remboursées sur la base d’un forfait technique d’environ 270€.
Le Centre Européen de la Consommation considère que ce montant ne peut être considéré comme onéreux, si on le compare notamment avec d’autres catégories de soins, plus coûteux, qui ne nécessitent pas d’entente préalable.

Le faible impact financier de l’imagerie médicale à l’étranger

D’ailleurs, le faible impact financier que représentent les soins radiologiques dans l’enveloppe globale des remboursements de soins à l’étranger ne peut justifier un contrôle systématique en amont par les autorités françaises.
Selon le rapport annuel de 2018 du Centre National de Soins à l’Étranger de Vannes, le poste de dépense « radiologie » dans son ensemble ne représentait que 1.6% du montant total remboursé en 2018 (soit 603.378€) pour des soins à l’étranger, les examens IRM ambulatoires programmés ne représentant qu’une minorité de ces 1.6%.

Au vu de ces arguments, nous estimons que le risque économique, souvent avancé pour justifier le régime d’autorisation préalable appliqué aux IRM, n’est plus d’actualité. Cet argument n’est plus justifié au vu du caractère routinier de l’examen et de son coût relativement faible, susceptible de remboursement.

Autorisation préalable pour les IRM : une procédure administrative devenue inutile

Au-delà des aspects financiers, la question de l’intérêt même de la procédure d’autorisation préalable doit être posée au regard de la situation actuelle qui n’est plus celle qui l’a légitimée.
Par ailleurs, l’article Article R160-2 code de la Sécurité sociale prévoit que l’autorisation (qui doit être donnée dans les 15 jours de la réception) ne peut être refusée si :

  • 1° La prise en charge des soins envisagés est prévue par la réglementation française ;
  • 2° Ces soins sont appropriés à l'état de santé du patient ;
  • 3° Un traitement identique ou présentant le même degré d'efficacité ne peut pas être obtenu en France dans un délai acceptable sur le plan médical, compte tenu de l'état de santé actuel du patient et de l'évolution probable de son affection.

L’intéressé peut toujours contester les décisions de refus ; ce qui implique non seulement une longue procédure administrative et n’est d’aucun secours pour le patient.
Une suppression de l’autorisation préalable pour les examens d’IRM en Allemagne permettrait donc d’alléger la charge de travail des caisses maladie, tout en simplifiant et accélérant l’accès aux soins aux patients.

3. Les solutions pragmatiques pour un meilleur accès aux soins dans la région frontalière

Au vu du déficit constaté en appareils d’IRM, au vu du délai d’attente moyen des patients pour accéder à cet examen sur le territoire français, au vu des opportunités de coopération sanitaires offertes dans les régions frontalières et des économies d’échelle qui en résulteraient, le Centre européen de la Consommation demande aux autorités françaises de se saisir de la question du bien-fondé de la procédure d’autorisation préalable pour les examens scanners et IRM dans les territoires voisins.

En effet, la législation française actuelle relative aux IRM est susceptible de constituer une entrave injustifiée à la libre circulation des patients principalement en zones frontalières, en ne respectant pas les dispositions de la directive 2011/24/UE, notamment son article 8 paragraphe 1.

Les équipements lourds listés à l’article R 6122-2 du Code de santé publique sont effectivement très coûteux en termes de frais d’acquisition, de fonctionnement et d’entretien.
Supprimer l’autorisation préalable pour les scanners et IRM à l’étranger permettrait justement d’améliorer l’accès aux soins dans les zones frontalières tout en évitant des dépenses importantes en frais d’acquisition d’équipements lourds.
Soulignée par la directive 2011/24/UE dans son article 10 § 3, la solution dans les zones frontalières passe par la mutualisation des appareils et équipements lourds, qui serait un gage de rationalisation.

1) Soit au niveau de la région franco-allemande grâce à l’accord cadre franco-allemand sur la coopération sanitaire transfrontalière (Art.6 §2)

À l’image de ce qui se passe à la frontière franco-belge, l‘Accord-cadre franco-allemand sur la coopération sanitaire transfrontalière10 est l’instrument juridique adapté pour encadrer ces flux de patients spécifiques.

En application de l’article 6 § 2 de l’accord-cadre franco-allemand sur la coopération sanitaire transfrontalière, l’ARS Grand Est pourrait décider de la levée automatique de l’autorisation préalable pour ces examens.

2) Soit au niveau national par la révision de l’article R.6122-26 du code de la santé publique

L’autre solution consisterait à supprimer l’IRM et le scanner) de la liste des soins soumis à autorisation préalable dans le code de la santé publique, notamment:

  • appareil d'imagerie ou de spectrométrie par résonance magnétique. (IRM)
  • scanographe à utilisation médicale (scanner)